Daniel Daniel (Lannoy)

Armand Quetsch
sans titre / extrait de la serie ephemera
Armand Quetsch
sans titre / extrait de la serie ephemera
sans titre,
peinture, acrylique sur toile,

C’est en disciple de Deleuze et Guattari que Daniel Daniel – dont le patronyme bégaie, le sème boursoufle – déterritorialise tant et plus. Il cultive le rhizome jusqu’aux frontières les plus cardinales de son champ lexical – et entendons ici lexical dans sa signification la plus imagée donc la plus physique. Est, ouest, nord, sud, il laboure à tout va la moindre parcelle de terreau mental que l’on indexe vulgairement du terme d’imagination. Entendons imagination (l’imaginatio davincienne) par faculté de l’esprit qui permet de représenter les images, c’est-à-dire une puissance de l’artefact érigée en tant que théorème plastique, donc existentiel. Et Deleuze et Guattari sont rejoints en ce chemin tout quantique et pavé de bonnes inventions par Sartre qui n’en demandait pas tant. Des perceptions sensorielles peu communes – 8,99 sur l’échelle établie jadis par Ruskin – alliées à des capacités réflexives hors normes font de Daniel Daniel l’expérimentateur idoine, hic et nunc, de l’esthétique kantienne. Une esthétique qu’il fait progresser grâce à l’exercice quotidien du ridere maximus – ce que le populaire appelle trop facilement le rire gras – dont il est le recordman du monde en salle, rappelons-le aux plus novices. Daniel Daniel exécutera ces quelques petites expériences de manipulation de neurones coloriées à Dudelange en septembre prochain.

 Jacques Umuhl 

Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, UFR Arts plastiques et Sciences de l’Art

De son vrai nom Daniel Lannoy, Daniel Daniel passe son enfance à Bruxelles et arrive adolescent à Arlon, il vit depuis à Virton en Gaume, région aux frontières emmêlées du Luxembourg belge. Bricoleur précoce et virtuose, il construit avec son frère Philippe ce qu’ils appellent un Satanyc, un train fantôme grinçant aux riffs des musiques d’Alice Cooper, dans le jardin familial. Musicien sans partition, il est le guitariste du groupe proto-punk arlonais Demodex, il s’essaie également à cette époque au cinéma en des films aux scénarios ambigus habités d’amis acteurs travestis dans des sapinières à la tombée de la nuit. Créateur naturel d’images, il décroche son diplôme en gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Mons – ce qui lui permet aujourd’hui encore d’être professeur à celle d’Arlon. L’une de ses premières expositions aura lieu à la galerie montoise Alter Ego, une installation intitulée Aux joyeux sapinos (1985) dans laquelle il se met en scène sous forme de poupée réaliste et parlante à son effigie. Après des expositions organisées dans ce qui deviendra le Centre d’Art contemporain du Luxembourg belge, il fait des apparitions locales à la Galerie Totem ou à l’Eglise de Vieux-Virton en compagnie de Myriam Hornard et dévoile en 1992, sous la forme d’un mobilier hilare et morbide, sa vision de l’Enfer et du Paradis dans les ténèbres de l’Autre Musée à Bruxelles. En 1994, il attaque les cimaises à même la roche de la Galerie Arte Coppo à Verviers avec une imagerie baptisée So long in Sologne. À partir de 1995, il exposera 23 fois avec le Chalet de Haute Nuit, groupuscule post-surréaliste basé à Bruxelles, en des expositions de peintures et d’objets animés aux noms étranges tels que De la belle Charcuterie (1999), Mécaniques & Cie (2001) – la suite des Sculptures mobiles du Bateau Ivre de Redu en 1990 et des Mobiles à air chaud de la Grange du Faing de Jamoigne en 1997 – ou Hardcorps (2003). Amateur de jeux visuels, il investit la vitrine de la Médiathèque de Mons ou celle d’un magasin désaffecté de Dudelange au Luxembourg avec des sons et lumières aux trompe-l’oeil fantomatiques. Un temps leader du groupe de variété expérimentale Hi-Han – et l’on se souvient de ce concert mémorable dans les casemates de la citadelle de Montmédy –, il revient à la musique électronique et aux onomatopées faites chanson avec un album qui porte bien son nom : Curiosités (1999). Depuis 2001, il aborde à nouveau le cinéma, particulièrement celui d’animation en fervent admirateur de Georges Méliès, et réalise Home Travel, un voyage au cœur d’une maison guidé par un cavalier qui galope sur une table de cuisine. En 2007 voit le jour Klaus Kermesse, un projet plus ambitieux aux personnages animés mécaniquement dans un décor de manèges métaphysiques et de roues de la fortune diaboliques – ce film sera projeté d’Athus à San Francisco et nominé au Festival d’Art Vidéo D’Konschtkëscht de Dudelange. La même année, il construit des sculptures mobiles pour le film Où est la main de l’homme sans tête des frères Malandrin. En 2008, il réalise Spectrum Slide, un voyage encore, mais dans une nature hantée où neigent des organes puis Flash Back (2009), un film-collage documentaire pour les 20 ans du festival musical Couleur Café. Depuis 2011, il revient à ses premières amours plastiques faites de cabanes à malices, sans doute une amorce de ce qui deviendra peut-être un jour un nouveau Satanyc. C’est Buis-buis – présenté dans le parc de  l’Orangerie de Bastogne –, une ricanante prouesse d’art topiaire puis Entre Sort – installé sur le site de Buzenol-Montauban –, un container camouflé de sapins habité par une inquiétante forêt animée. Entre deux projets d’installations et de cinéma, il conçoit depuis les années ’80 les affiches des spectacles d’Agnès Limbos et son théâtre d’objets tragi-comique. En 2011 il s’est à nouveau diverti les doigts en réalisant pour la galerie bruxelloise La Charcuterie une impressionnante série d’aquarelles intitulée Manèges liquides. L’année 2013 sera consacrée à une exposition rétrospective  –  de 1985 à nos jours –  à Dudelange intitulée Kompil, entremêlant gravures, peintures, films et sculptures mobiles et clignotantes. 2014 sera entièrement dédiée à la réalisation d’un nouveau court métrage aux héros de chair et d’os évoluant dans un décor intégralement peint à la main. Une intrigue d’amours tragiques se déroulant dans un musée sous les bois ayant pour titre The Sapinière of Love. Enfin, mais son histoire ne fait que se poursuivre, Daniel Daniel investira la galerie Le Magasin de Papier lors de « Mons 2015, capitale européenne de la culture » avec de nouvelles constructions cinétiques – de nouvelles ferrailles animées d’idées lumineuses – regroupées sous le nom de House of Light. Daniel Daniel en tant qu’artiste est inclassable, n’étant attaché à aucune technique en particulier – ou alors à toutes en fonction de ses projets –, en fils de l’Atome il n’a pas la nostalgie fétichiste des Beaux-Arts – à part celui de Peter Blake, Jim Shaw ou Matthew Barney, l’art d’aujourd’hui le laisse assez indifférent – mais un intérêt toujours aux aguets pour la technologie au service des idées. Daniel Daniel ne s’est jamais dit un beau jour qu’il allait « faire de l’art », depuis la construction de son Satanyc dans les années ’70 il crée comme il vit, sans plan de carrière ni rétrospective à préparer, juste pour faire rêver quelques enfants qui comme lui ne deviendront jamais vieux.


François Liénard, octobre 2016

Source : le site de l’artiste


Expositions aux Centres d'art de la Ville de Dudelange:

Kompil, Galerie Dominique Lang, Dudelange 2013 

&

Belge attitudes, Centre d'art Nei Liicht, 2002