La photographie, chez Michel Mazzoni, est une activité processuelle qui nécessite déplacement et circulation du corps comme du regard. Scrutateur assidu de son environnement, l'artiste s'attarde généralement sur des éléments insignifiants, précaires ou délaissés dans le but de rendre visible les nombreux interstices qui jalonnent le cours de l'existence et auxquels nous ne prêtons pas forcément attention. Dialoguant autant avec les espaces, les pleins, les vides, les aspérités et les hors-champs qu'avec les réminiscences qu'elles génèrent, les images fragmentées de l'artiste se déploient au gré des lieux qui les accueillent, telles des ponctuations, pour tenter de formaliser un moment suspendu dans le rythme effréné de nos vies quotidiennes.
Engagé dans une démarche minimaliste et artisanale entièrement vouée à l'exploration du champ visuel, l'artiste travaille par séries, alternant grands, moyens et petits formats, recourant aussi bien à la manipulation, à la duplication et à la superposition pour donner naissance à des images composites volontairement énigmatiques. Ainsi, photocopies, gélatines de couleur et épreuves argentiques se trouvent régulièrement associées, au sein même d'une création ou dans le prolongement de plusieurs, augmentées de temps à autre d'assemblages sculpturaux conçus à partir d'objets récupérés ou produits à destination du public, tels des supports d'impression posés à même le sol. Résolument à contre-courant de la photographie classique, la pratique plasticienne de Michel Mazzoni désarçonne par sa capacité à envisager le réel comme un matériau visuel inépuisable qui renfermerait un nombre infini de modulations, variations et itérations, pour peu qu'on prenne le temps de s'y attarder.
"Images sans qualité de lieux, d’objets, elles « accrochent », selon les propres mots de l’artiste, sans que l’on sache exactement pourquoi et produisent un écart, une distance et une irruption soudaine d’un réel qui résiste à toute lecture symbolique."¹ Ainsi, à la manière d'un compositeur qui aurait basé 1 toute sa composition musicale sur le principe de l'ostinato, l'artiste procède par contraste, dialogue et contrepoint pour produire, à chaque nouvelle présentation, un développement adapté à son environnement – que ce soit au fil des pages d'un livre ou dans l'espace d'exposition –, et où les intervalles de respiration occupent toujours une place prépondérante.
"Vous dites : le réel, le monde tel qu'il est. Mais il n'est pas, il devient ! Il bouge, il change ! Il ne
nous attend pas pour changer… Il est plus mobile que vous ne l’imaginez. Vous vous rapprochez
de cette mobilité quand vous dites "tel qu’il se présente" ; ce qui signifie qu'il n'est pas là, existant
en tant qu'objet. Le monde, le réel n'est pas un objet. C'est un processus. »²